LE BALLET DES BALEINES
Ce matin n’a rien d’ordinaire, il est doux, il est tendre, il est presque éternel.
Dans mon lit, je m’étire comme un chat qui se sent un peu trop rouillé et je regarde les faisceaux de lumière fendre par les persiennes de ma fenêtre.
Sur la rambarde de bois, un rossignol s’est mis à siffler d’une voix claire.
Il chante aussi fort qu’on espère, il vit de ses petits poumons qu’il remplit de la pureté de l’air.
Je me lève et je chausse mes ballerines de nacre, celles qui ont des petites nageoires bleues qui ondulent comme des voiles, dès qu’elles touchent l’eau de l’encre.
Ce matin je retire les filets sur ma peau et je glisse dans une robe mauve d’écailles pour aller nager avec des êtres particuliers qui sont arrivés hier, comme chaque année, dans la baie.
Je quitte la maison sans fermer les portes ni les fenêtres et je descends le chemin de pierres où les lézards chauffent dans la douceur du soleil.
Ce matin j’inspire comme si c’était la première fois, comme si ça pouvait être la dernière.
Je regarde la mer qui s’étale jusqu’à l’autre côté de la planète. C’est le plus beau des saphirs que je veux porter autour de mes doigts et de mon cou.
Elles sont là mes somptueuses amies, elles entament le ballet que nous allons partager jusqu’à la tombée de la nuit. J’avance, mais je renonce à poursuivre jusqu’à la plage… je vais plonger depuis la pointe falaise en grès et glisser dans l’eau calme et sage.
Mais avant de vivre ce moment magique, je veux goûter l’instant…
J’ai envie de ressentir ce qui s’allume et s’anime à l’intérieur de moi… Je veux toucher les secondes et immortaliser le temps pour l’embrasser avec mon âme, pour dire « Merci » tout simplement.
Mon cœur s’accélère, il frémit, il palpite. Je ne sais plus si c’est l’excitation ou la peur qui m’anime, alors je ferme les yeux et je me lance du plongeoir.
Je sens l’air qui file sur moi à vive allure… je touche l’eau, elle est tiède. J’ouvre les yeux et en remontant à la surface, je vois le ciel.
Mes nageoires me soulèvent, elles me ramènent jusqu’à l’oxygène où j’aperçois leurs majestés qui chantent déjà. Le vent est miel sur mon visage émerveillé, je me sens dans un environnement que je reconnais.
Et puis, ce sont deux baleineaux qui approchent, amusés et curieux.
Ils roulent sur eux-mêmes pour me le faire comprendre. J’entends dans l’immensité bleue, ces sons qui crépitent et qui viennent enchanter mes oreilles. Le paradis est toujours dans la nature me dis-je… rien ne peut être aussi surprenant, aussi envoûtant et changeant qu’elle.
Les jeunes cétacés m’entraînent dans une danse que je pourrais reproduire tous les jours de ma vie dans une boucle infinie.
C’est cette suspension qui arrête tout sur son passage : les pensées, les paroles, le temps… On est là, on est vivant et c’est Tout.
Je nage, je vrille, je virevolte au milieu de mes grandes sirènes et je souris si fort avec le cœur qu’en regardant leurs yeux, je lis dans ces boules de cristal, les secrets et les mystères de la vie toute entière…
Je vois tant de compréhension, tant de douceur et d’intelligence que mon corps tressaille inévitablement.
Je reçois ces décharges de sens à poser dans ma conscience, ces étincelles qui laissent grandir les citadelles des vœux auxquels je crois.
Elles sont les gardiennes des mers, les grands seigneurs des océans.
Elles sont le passé ancestral, l’héritage précieux que la terre nous a confié, comme tout être vivant. Elles sont ces géants dont nous devons prendre soin par tous les moyens.
Et lorsque je finis par sortir de l’eau, il est déjà bien tard.
Il fait si noir que la lune me sert de lampe pour remonter jusqu’à mon nid.
Et quand je m’endors je sens encore leur présence. Je sens toutes les fréquences échangées… Je laisse s’envoler mes rêves vers l’Univers et je fonds dans les étoiles pour tisser une toile dans laquelle rien n’existe… sauf l’essence même du verbe Exister.
Elody