LA DOULEUR

On sait ce qu’est la douleur quand on a déjà hurlé à la mort dans les cris étouffés et sourds d’un oreiller. On sait ce qu’est la douleur quand on a la sensation de se voir tout arracher dans une violence qui morcelle et déchiquète tout ce que l’on est en un instant.

Le silence de l’abattement qui précède l’ouragan de l’incompréhension et de la haine. Le vide et l’absence lorsqu’on est seul face à soi-même. Souffrir du fond de ses entrailles à en vomir de désolation, de noirceur et de dégoût profond. Laisser battre son coeur si fort que le souffle devient court et haletant. Dévoré de tristesse et englouti de peurs, au fil du temps on se vide de ses pleurs.

Ne pas comprendre pourquoi ? Et n’avoir que des « pourquoi” ? Ne jamais trouver de réponses, ne pas avoir assez de questions.

Éprouver la culpabilité de pouvoir vivre malgré tout des moments heureux et attendre chaque jour que le téléphone sonne. Prier dans un mensonge à soi-même que ce soit… juste toi. Avoir l’illusion de croiser une silhouette qui envoie une décharge de bonheur instantané, une étincelle qui intime l’envie de courir plus vite que le vent pour retrouver le perdu insouciant.

Ne pouvoir se résoudre, ne pouvoir se raisonner. Ne rien pouvoir résoudre, ni pouvoir s’assommer.

Gâcher son chagrin dans l’alcool, dans la fête et ses excès, s’échouer contre des corps tendres pour s’évader une infime minute du gouffre béant par lequel on est habité.

Se voler un instant éternel et savourer d’oublier. Se briser sur les rochers de la compassion de l’autre, de l’impossibilité qu’il a de pouvoir nous comprendre. Être déchiré de sa propre sincérité d’espérer que ça ne lui arrivera jamais. Saisir dans ses yeux la peur, la pitié, mais aussi parfois la lumière du vécu commun qui n’a pas besoin que les mots soient prononcés. Un survol de pudeur, un regard bienfaisant et rien d’autre à ajouter par ce sauveur. Nous sommes du même monde, cette douleur est la nôtre.

Laisser le temps consumer l’absence, faire s’éloigner le mauvais. Laisser de meilleurs jours arriver, flancher de nombreuses fois encore et couler à nouveau, mais finir par se dégager et revenir à la surface pour respirer.

Et puis lentement se vouloir et se voir changer. Entamer un long processus intérieur d’apaisement dans l’acceptation lorsqu’elle est possible pour ne pas devenir un allié de la folie. Constater et interpréter autrement notre environnement et les gens. Avoir des envies et faire des choix différents de ce que l’on était avant. Apprivoiser la peur de continuer seul sur le chemin pour vivre sa vie, pour rendre l’autre fier, en l’étant un peu plus de soi-même. Espérer et vivre pour le meilleur, maintenant que l’on connait le prix de l’horreur.

La douleur ennemie d’hier laisse place au récit d’une nouvelle histoire. Une histoire que le temps peint de mille couleurs de doutes, de force et de courage.

Si se relever est possible alors, plus rien ne sera jamais impossible !