VOYAGER À NEW-YORK

 

Partir ailleurs à des milliers de kilomètres pour voir la différence, se confronter à de nouvelles ambiances, ressentir les résonances de multiples couleurs fondues sur une palette plus vaste de sens.

Voyager à l’autre bout de monde pour voir de ses yeux ce que c’est de vivre plus loin, goûter à des mœurs nouvelles, se mêler à ce qui nous est inconnu et paradoxalement si familier au contraire.

 

Voyager à New York pour toucher des yeux sa démesure, pour y voir ce que les géants du Nouveau Monde ont pu y construire. Voyager à New York pour y vivre une aventure, celle que nous connaissons depuis l’enfance, que nous voyons sur nos écrans, cette vi(ll)e qui nous aspire et nous réduit en quelques instants à l’état de fourmis insignifiantes.

Marcher le nez en l’air sur les immenses avenues bruyantes et fascinantes et ne pas avoir assez de ses yeux pour tout voir, tout enregistrer. Manquer d’espace pour apercevoir le ciel et pourtant se sentir comblé de marcher sur les pas de ce qui nous paraît pleins de repères.

 

À New York la vie grouille à un rythme effréné à chaque heure du jour et de la nuit. Ici, l’étroitesse ne semble pas exister : celle de l’espace, mais aussi celle de l’esprit.

Tout y est gigantesque, tout est à sa place et c’est cela que nous sommes venus chercher.

 

Partout, les gens n’ont pas le nez posé sur leurs pieds, ils sont calmes bien que pressés. Ils ont l’élégance de garder leur mauvaise humeur pour eux. Personne ne se dévisage, au contraire, on s’envisage volontiers. Dans la rue, dans le métro, les gens qui ne se connaissent pas se parlent, ils se sourient, c’est une des surprises de cette Big City, l’immensément grand ressemble aussi à l’immensément gentil.

La vie suit son cours sans que les gens semblent connaître l’agacement, la nervosité du moins en apparence. Les grands costauds habillés de cuir, tatoués, blouson clouté côtoient et bavardent sans problème avec des mémés ou de jeunes enfants pleins de curiosités.

 

A Brooklyn, les chiens ont des parcs pour eux. On voit les maîtres se diriger vers le square à toutous et y faire des rencontres, discuter avec d’autres personnes, des voisins de quartier. Les écureuils font leur ronde, même craintifs, leur gourmandise les pousse à venir tout près tenter de grappiller un nouveau petit-déjeuner.

 

Mais dans ces décors de cinéma sur fond de Statue de la Liberté, il manque quelque chose et je me demande encore quoi !

 

Pour dominer la ville, plusieurs choix s’offrent à nous.

Admirer la vue, prendre de la hauteur est ici une obligation. Le sommet panoramique du Rockefeller Center ou celui de l’Empire State Building donnent la sensation de pouvoir toucher le ciel. L’ascension est très rapide et la découverte de la presqu’île vaut vraiment le coup d’œil. Les taxis qui circulent en bas sont si minuscules qu’on pourrait les confondre avec des miniatures évoluant sur un circuit automobile.

En haut des gratte-ciels, le champ de vision est vaste, l’horizon semble infini sur cet océan que nous avons tant l’habitude de regarder depuis l’autre côté.

On trouve beaucoup de restaurants et des bars panoramiques dont le mythique The View de Times Square qui tourne sur lui-même et qui laisse apprécier à ses clients une vue à 360° sur la ville qui ne dort jamais.

 

À Manhattan il y a des centaines de choses à voir, autant de musées à visiter, tout nous semble d’une excentricité folle, d’une démesure jamais connue jusqu’à lors.

Les magasins de jouets par exemple sont conçus comme des parcs d’attractions. Il y a des figurines géantes en Legos partout, des stands de bonbons délirants, des tas d’ateliers de cuisine ou de création, des pyramides de peluches immenses. Au Toy’rus de Times Square, le t Rex en taille réelle de Jurassic Park est animé tandis que la maison de Barbie a été reproduite à échelle humaine. Le logo de la marque est si grand qu’il ne rentrerait pas dans mon salon. Il y a même une grande roue à l’entrée du magasin pour le plaisir des petits et des grands. L’enfance a une place certaine dans la mentalité américaine et je dois dire que j’ai adoré ça !

C’est incroyable, presque irréel. C’est un monde surdimensionné que l’on voit exister en vrai.

 

Pourtant dans toute cette effervescence que rien ne saurait calmer, il semblerait que certains préfèrent se faire discrets, assez pour ne pas être vus, assez pour ne pas plonger dans le chaos du m’as-tu-vu des célébrités. Dans cette ville immense et haut perchée, je me demande où sont les chats.

Où sont les félins qui vivent ici ?

 

J’aime imaginer qu’ils doivent regarder la vie s’écouler du haut des fenêtres, là où rien ne trouble leur paix, leur besoin de tranquillité, de large domination de leur territoire.

Ils doivent être comme les sentinelles qui observent le monde dans lequel ils ne veulent pas entrer.

 

C’est étrange de voir une ville aussi gigantesque et n’apercevoir presque aucune vie animale et surtout de n’en ressentir aucunement le manque. Cette normalité saisissante nous fait presque oublier qu’ils existent et cette sensation me fait peur. Trop accaparés par tout le reste, on se déconnecte de l’essentiel.

L’homme est ici en tête à tête avec lui-même. À l’intérieur de sa forteresse, il se sent inattaquable.

Au milieu de son monde urbanisé, tout est dénué d’une nature pourtant si présente à quelques kilomètres de là, même les arbres sont parqués. Installés proprement entre des dalles de béton le long des trottoirs, ils donnent une impression de verdure en plastique noyée dans le verre et métal. Ils essayent de survivre à ce goudron omniprésent.

 

Central Park, le poumon de Manhattan comble à l’évidence ce grand vide de verdure. En hiver, les arbres sont nus, mais ils sont là et enfin il est possible de trouver plus d’espace. L’eau des lacs au cœur de la ville apporte la quiétude artificielle qui nous est vitale à nous les humains.

 

Les chats se sont sûrement réfugiés dans les sanctuaires des ruelles glauques, peuplées de poubelles dégoulinantes comme on les voit à la télé. Les mieux lotis d’entre eux vivent peut-être dans des repères plus luxueux. Dans ces appartements où la lumière se monnaye, ils se laissent bercer par la chaleur qui les enveloppe d’un écrin doux pour leurs siestes.

 

Survoler New York pour comprendre que cette grandeur enivrante et grouillante ne fait pas tout. Ressentir d’être réduit à l’état d’insecte, rampant à l’ombre d’immeubles trop grands et comprendre le besoin de vouloir combler des manques en consommant toujours plus … jusqu’à l’écœurement. 

La Big City est belle et distrayante, mais je ne pourrais pas y vivre. Le manque de nature y est trop criant, le manque de verdure trop désolant pour mes propres besoins. 

Où sont alors les chats New Yorkais ?

Je n’aurais sans doute pas de réponse à cette question. Il me faudrait y retourner pour les chercher ou me souvenir de vouloir en voir.

Ils habitent sans doute les quartiers calmes où il leur est possible d’évoluer sans se faire bousculer, sans risquer de se faire écraser par des hordes de passants et de taxis overbookés.

 

Ils sont peut-être comme moi. Ils sont venus voir ce que les humains ont érigé pour afficher leur domination aux yeux du monde et le manque de lumière leur a manqué.

 

New York m’a fait rêver, je suis heureuse d’y être allée et je le suis autant d’en être rentrée.

Je garde des souvenirs vibrants, intenses, mais me il paraît plus clair désormais que ce n’est pas l’endroit du monde qui sait me faire ronronner.