BERLIN ÉTÉ 89
Toi à l’Est et nous à l’Ouest…
Comment faire fuir ces nuits noires, où à l’abri des miradors et de leurs projecteurs redoutables, des fusils des gardes et des hurlements des chiens d’attaque, j’approchais jusqu’au rideau le bide dans le vide… pour t’envoyer juste quelques mots… des pensées de tous les jours presque futiles.
J’ai lancé des lettres par dizaines, écrites sur ces mêmes avions en papier que tu m’avais appris à faire et que je laissais s’envoler au dessus de cette cicatrice en béton armé… par delà le mur de la honte, de la douleur en sachant bien que tu ne les lirais jamais… C’était un rituel, un lien invisible juste pour continuer à espérer.
Sans autre moteur que l’envie de te retrouver, sans autre réacteur que le vent messager, j’ai imploré tant de fois que tu sois encore debout sur tes pieds… parfois face aux nouvelles, il m’est arrivé d’imploser.
Tant sont tombés, des hommes, des femmes et même des enfants… Du haut des tours, les lâches balayaient le noir d’éclairs de balles… on a tremblé tellement de fois… d’imaginer que ce soit toi.
Presque 30 ans d’absence, trop de décennies de souffrance entre les barbelés qui cisaillaient le ciel en découpant les nuages… et Maman qui pleurait que tu ne reviendrais jamais.
De l’autre côté, c’était le no man’s land, le désert où personne ne rôdait. Seules des familles de lapins prospéraient par milliers. Combien de fois gamin, je voulais emprunter les couloirs de leurs terriers pour traverser…
C’était encore l’été, on ne pouvait pas imaginer que le béton allait céder quelques mois plus tard… que la chute allait entraîner une vague humaine dont l’Histoire se souviendrait.
C’était le 9 novembre, l’euphorie qui donnait la main à la liesse, on ne sentait plus le froid, l’air n’était plus parfumé de peine. Les gens écrivaient des mots, des phrases tandis que d’autres armés de pioches prélevaient des souvenirs en morceaux de ciment… Ça chantait, ça se bousculait, ça criait… l’ignoble rempart venait enfin de s’écrouler.
Depuis des heures, je scrutais l’horizon du haut d’un container à ordures.
Au milieu des visages de la foule en délire, c’est toi qui m’as reconnu.
Au bout de ta main, un avion de papier géant et quelques mots pour demain…
« Aujourd’hui tout est terminé, le futur est entre nos liens ».
Elody