LA VOYAGEUSE ET LA MONTGOLFIERE
C’est parce qu’elle s’est posée en catastrophe au milieu du champ de patates que j’ai accouru vers ce ballon blanc qui descendait tout droit des nuages.
La voile gigantesque recouvrait toute la nacelle et dessous j’entendais la voix d’une femme qui demandait de l’aide.
Comme une chenille qui sort de son cocon, je me suis faufilée sous l’amas de toile comme on nage dans la colle. J’ai suivi les sons qui se faisaient de plus en plus précis et je l’ai retrouvé en entrant au cœur de ce qui me semblait être un petit chapiteau. Le spectacle auquel j’allais assister, je n’aurais jamais pu m’y attendre.
Une dame aux cheveux longs, gris et hirsutes portant d’épaisses lunettes d’aviateur est sortie de sa nacelle en cordes tressées comme apparaît un lapin d’un chapeau de magicien.
Sans s’étonner de ma présence, elle m’a lancé comme on se balance :
- Sais-tu toi comment battent les autres cœurs ? As-tu compris que c’est l’unisson qui forme le chœur !
Je suis restée coi. J’ai tenté de ne pas laisser tomber ma bouche tant j’étais étonnée, puisque je m’étais précipitée dans l’idée de devoir la sauver. Elle s’agitait dans tous les sens en marmonnant des phrases incompréhensibles, disparaissant tour à tour dans son panier d’où jaillissaient des objets étranges comme des montres à goussets de toutes les tailles possibles, des sabliers, des messages prisonniers de flacons embouteillés qui s’entrechoquaient sans se casser, des oiseaux en peluche et même des tablettes de chocolat au lait.
Cette montgolfière descendue de nulle-part était aussi étrange que son loufoque pilote. Comme je ne savais pas dans quel sens repartir pour retrouver la direction du champ libre, je suis restée là plantée dans mon silence.
Lorsqu’elle a eu fini de s’agiter partout, elle s’est accoudée en regardant en l’air comme on tente de lire le ciel qui-là, était un plafond de plastique qui ne la perturbait pas le moins du monde.
Une fois encore, sans que rien ne se prête à ses mots elle a dit : - Ouvre tes mains vers l’Univers et demande lui l’humilité que tu es en train de perdre !
Cette fois c’est sûr, j’ai pensé qu’elle était complètement fêlée, mais elle souriait et son visage sympathique me rassurait.
Il faut dire aussi que j’aime bien les gens originaux, c’est près d’eux que naissent les plus grands fous-rires et les surprises … parfois elles sont mêmes philosophiques.
Elle a poursuivi en gloussant comme une mamie gâteau : - S’il te plait essaye de cultiver ton intérieur au lieu de t’étaler à la surface de ta suffisance. Tu es comme les autres, imbus de ton arrogance, détachée de tes émotions profondes… tu es tellement à côté de tes pompes que tu mets celles des autres. Il ne faut pas t’étonner qu’elles soient tour à tour trop grandes ou trop étroites.
Ton égoïsme retient prisonnière ta modestie. Lorsque tu auras entendu les sons qui grondent dans le puits de ta vérité intérieure, tu pourras revenir ici parler… non pas en ton nom, mais en celui de la bienveillance.
Je me suis sentie prise entre deux feux, celui de l’envoyer paître avec les vaches d’à côté et celui de la claque que je venais de prendre dans la conscience. Que voulait-elle me dire en lecture intime de ses phrases qui venaient de me labourer ?
Elle ne m’a pas laissé le temps de lui répondre. Elle a tendu sa main et lorsqu’elle l’a ouverte, la peluche de moineau à l’intérieur s’est mise à s’éveiller. - Regarde ! Crois-tu qu’il puisse penser être meilleur que toi ! Pourtant compte tenu de sa taille, de sa fragilité… toi tu te penses meilleure que lui. Le moineau s’est posé sur le bord de la montgolfière.
Elle a disparu à nouveau dans le panier et puis elle est ressortie avec quelque chose de bien plus volumineux recouvert d’un sac en jute qu’elle tenait avec précaution. Lorsqu’elle l’a soulevé, un pygargue à tête blanche me fixait droit dans l’âme sans vaciller. - Et là ! Crois-tu qu’il puisse penser être meilleur que toi ! Pourtant compte tenu de sa prestance, de ce que tu sais de ses qualités de prédateur redoutable, tu te penses inférieure à lui. Elle a caressé la tête du seigneur des airs et il s’est inanimé, devenant une peluche l’instant d’après.
Le temps était en train de s’arrêter. Ce que je vivais, je savais que cela ne se reproduirait jamais. - Vous êtes des êtres impressionnables, impressionnés par les apparences, par les titres, par la notoriété et les possessions que vous pensez détenir. Vous êtes si imbus de vos croyances que la force de la douceur, de la sensibilité et de l’Amour ne vous touchent plus. Si elles vous effleurent, vous avez même peur qu’elles vous tuent.
Vois-tu comme vous êtes perdus ? Elle m’a regardé sans attendre d’échange.
Si tu cherches à trouver les vraies réponses, alors il va falloir te poser les vraies questions… tu sais, toutes celles qui dérangent… car pour avoir une vision complète, il faut prendre de la hauteur… écouter battre les pensées des cœurs et si tu es assez attentive… alors tu entendras un jour l’unisson de ce chœur.
Tu es un oiseau, ni plus grand, ni moins important que les autres… tu es un oiseau dans un ciel immense… tu es un oiseau qui croit encore qu’il ne sait pas voler.
Alors il est temps de commencer à regarder cet espace et partir à la conquête de toutes tes capacités. Dans les vastes étendues des courants d’ailes, tu apprendras ce qui te manque aujourd’hui : l’humilité, le courage, l’authenticité et le respect de tout ce qui vit.
Elle a disparu dans sa nacelle et quand j’ai compris qu’elle n’en ressortirait plus, j’ai cherché le chemin de la sortie.
Lorsque j’ai retrouvé l’immensité de la campagne encore endormie, j’ai inspiré en grand comme je l’oublie trop souvent.
Je me suis retournée pour regarder ce ballon bizarre, mais il avait disparu.
Derrière moi, l’aigle et le moineau se sont envolés. Leur direction n’était pas la même et pourtant dans les airs, ils allaient déjà aussi haut qu’on peut le faire, aussi haut que chacun pouvait l’être.
Elody