L’ESPAGNOL


Avant de le rencontrer, nombreux étaient ceux qui m’avaient parlé de lui.
Connu de tous dans ce village médiéval, sa réputation respectée le précédait.
La première fois qu’on s’est croisés, je déambulais dans la ruelle jusqu’à la place au milieu des rires des enfants.
De loin sans savoir que c’était lui, j’ai remarqué combien cet homme ressemblait à ceux de ma famille.
À mon abord, il a hoché la tête en prononçant un « Holà » aimanté qui m’a presque soulevé.
J’ai remarqué ses yeux froncés de ce noir profond, aussi foncé que les terres andalouses où mon grand-père est né.
Comment rester stoïque face au charisme et à la prestance qui frappent le sol comme on entre dans l’arène en recevant le soleil de plein fer ?
Autour de lui je voyais presque le sable voler, j’entendais même le souffle, les sabots des taureaux et des chevaux sauvages juste à côté de mon visage.
Un peu plus tard, il a rejoint ses amis au café où je me trouvais.
Je lisais en terrasse sous les rayons d’une fin de journée agréable.
J’ai fait mine de ne pas le voir arriver, de ne surtout pas le regarder, mais lorsque sa voix s’est mise à sonner, mon cœur subitement s’est accéléré.

Je n’avais pas prévu que la timidité ne pouvait pas vivre dans un caractère aussi affirmé. Au bout de quelques minutes, il est venu me trouver et sans sourciller, il m’a invité à les rejoindre à leur table avec ce petit accent dans son français qui m’a renversé.
L’audace latine m’a fait rosir comme une pivoine et contre son sourire, j’ai trébuché.
Rapidement, je me sentie à l’aise et la sangria m’a certainement apporté un peu de son aide.
La soirée tiède a duré jusque tard dans la nuit et je suis rentrée à mon auberge, des images plein la tête.


J’ai dansé comme une gamine devant mon miroir en me remémorant chaque détail et je me suis jetée en arrière sur le matelas, les mains ouvertes vers le plafond de ma mémoire, le cœur chantant dans mon enthousiasme.
Il m’avait regardé si droit dans les yeux que mon esprit avait dû reculer dans mon crâne.
Il avait caressé ses mots et sans me toucher, il avait posé ses doigts dessus comme on pince les cordes des guitares qui font jouer le flamenco.
Je crois que la peur lui est parfaitement étrangère tant sa confiance est aussi radieuse que radicale.
Comme les hommes de chez moi, c’est la fierté qui l’élève dans les valeurs qu’il respecte. Il impose partout sa stature dans un énigmatique secret et qu’importe si vous êtes capable ou non de lui faire face… il est un homme qui habite l’air qu’il respire, un homme qui sans même le vouloir prend toute la place dans l’espace.


Je viens de faire la rencontre d’un orfèvre, d’un accordeur plein de charme.
Ici tous l’appellent l’Espagnol… mais je sais que les femmes en secret le nomment « El Matador »… Il m’a demandé de le rejoindre tout à l’heure sous le clocher pour voir avec lui, l’aurore sortir de sa robe d’or.

Quand j’ai demandé pourquoi, il a dit… « Non, ça je ne peux pas le dire, c’est encore un secret qui dort. »

Elody