C’est dans son restaurant « Le Tommy’s Diner Café » à Labège, que je rencontre aujourd’hui Patrick SOULA, ancien talonneur du Stade Toulousain, six fois Champion de France.

Il fait déjà une chaleur écrasante lorsque je rentre me mettre au frais dans ce Diner coloré, typique et incontournable des sorties toulousaines.

Quelques minutes plus tard, il arrive : imposant, charismatique, à l’aise. Il me serre la main avec poigne sans aucune brutalité et je le suis dans la salle afin que nous nous installions à une table pour préparer ce portrait.

 

LE COLOSSE AU CŒUR TENDRE

 

Patrick SOULA est né le 14 août 1963 dans l’Est de la France à Guénange.

Ainé d’une famille de trois enfants, son frère et sa sœur sont des jumeaux qui n’ont été découverts que le jour de leur naissance. Avec un sourire nostalgique et ému, il me raconte que les deux bébés étaient posés cœur contre cœur dans le ventre de sa Maman… de fait les médecins n’entendaient les battements que d’un seul… l’échographie n’existait pas et ce fût une vraie surprise dans tous les sens du terme le jour de leur venue au monde.

Pourtant originaire du Sud, la famille a suivi la mutation du Papa qui était policier. Ce n’est qu’à l’âge de 10 ans qu’il rejoindra le Sud de la France qu’il ne quittera plus, hormis lors de ses nombreux road-trips aux Etats-Unis.

 

Vous rêviez depuis toujours de jouer au rugby ?

 

Dans le Nord de la France, le rugby n’a pas de place, on y préfère de loin le foot !

Mon père avait essayé d’initier ce sport si cher aux gens du Sud en espérant pouvoir lui faire une place dans les mentalités, en vain.

Ce n’est donc qu’à notre retour que j’ai pu m’inscrire au club de Roques sur Garonne. Tous les mercredis et samedis, je prenais mon vélo pour faire les 8 kilomètres jusqu’au club. À 11 ans, j’ai intégré l’école de rugby du Stade Toulousain. Je continuais de me débrouiller pour aller aux entraînements en bus, mon père venait me chercher le soir après son travail.

Je m’entraînais et je regardais les grands jouer ! C’était l’époque de Jean-Claude Skrela et Pierre Villepreux. Je rêvais d’être à leur place et de me donner les moyens d’y arriver un jour moi aussi. J’ai gravi les échelons de minime, à cadet, puis enfin en junior pendant trois ans avant de faire quelques saisons en équipe nationale B.

Puis, en 1984 j’ai eu ma première titularisation en équipe première. La consécration et la fierté bien sûr !

 

Vous avez été 6 fois Champion de France et aussi Champion d’Europe, connu une immense notoriété. Qu’en avez-vous retiré sur le plan humain ?

Le rugby m’a apporté certaines valeurs comme la loyauté, la générosité, le dépassement de soi… nous avons vécu des moments d’une intensité extraordinaire ensemble, si forts que les mots ne pourraient les expliquer. On est lié dans cette tranche de vie à jamais !

Sur le moment, on ne se rendait pas compte de tout ce qui se passait. C’est les gens autour de nous, plus tard, qui nous ont fait prendre conscience que nous avons marqué des générations avec ces victoires. Cependant, j’ai toujours préféré fuir les paillettes et les feux des projecteurs. J’ai toujours aimé m’amuser, mais m’afficher c’est une autre histoire.

 

Avez-vous gardé contact avec vos anciens partenaires de l’époque ?

 

Bien sûr ! Nous avons chacun poursuivi nos vies et nos chemins sur des voies différentes, mais grâce à l’amicale du Stade Toulousain (où se retrouvent les anciens), nous avons la possibilité de nous revoir assez souvent, de faire quelques matchs d’exhibition contre les anciennes équipes de l’époque (Biarritz, Perpignan, le Racing, Brive, Toulon…). Désormais, on joue au « flag » comme les enfants pour ne pas nous blesser (il rit).

C’est surtout l’occasion, pour nous qui sommes attachés de notre Club de prendre plaisir à se retrouver, de partager en refaisant le monde, de rire ensemble en se remémorant l’histoire de notre génération, à jamais gravée dans nos cœurs.

Nous sommes comme une grande famille… on a plaisir à partager ces moments.

 

J’ai lu que vous aviez dit que vous étiez né en Rouge et Noir et que vous crèveriez en Rouge et Noir. Pouvez-vous me dire ce que le Stade Toulousain représente pour vous ?

 

Cela représente une immense tranche de vie !

J’ai passé 25 années sous le maillot Rouge et Noir… on peut parler d’une belle histoire d’amour.

Je suis amoureux de ce Club, amoureux de mes souvenirs et de toutes les émotions qu’il m’a permis de vivre. Encore aujourd’hui, je suis tous les matchs que je peux à la télé, mais je ne vais plus au stade.

Ces couleurs sont à jamais gravées dans mon âme et dans mon cœur… jusqu’à la fin !

Je crèverais en Rouge et Noir oui ! c’est certain.

 

Vous avez dit que le Bouclier de Brennus qui vous laisse un souvenir inaltérable est celui que vous avez soulevé en 1989. Pourquoi ?

 

Parce que c’est le premier !

Vous savez, c’est tellement dur ! Quel que soit le niveau dans lequel vous évoluez, c’est tellement dur de remporter un titre, un championnat quel qu’il soit que les émotions et la joie que vous ressentez sont incomparables ! Si on joue, c’est pour vivre ça !

Avec mon ami Hugues Miorin, qui est aussi le parrain de mon fils Tommy, nous avons toujours eu une très grande complicité, d’autant plus que nous jouions ensemble devant.

Après chaque finale remportée, nous avions pour habitude d’aller nous asseoir tous les deux au milieu du terrain après le coup de sifflet final. On écoutait l’effervescence du stade, la joie des supporters et on restait là, à se regarder pour profiter de l’instant présent.

 

« Putain mon pote !

C’est peut-être la dernière fois qu’on vit ça ! »

 

 

Voilà ce qu’on se disait en observant la folie autour de nous, des larmes au bord des yeux et de la fierté dans le cœur. Je garde ces souvenirs avec beaucoup d’émotions, parce que c’est très fort ce qu’on ressent dans des moments comme ça.

Nous avons remporté la Coupe d’Europe en 1996, pourtant en termes de consécration, rien ne vaut le Brennus, surtout quand on porte les couleurs de Toulouse.

 

 

Vous souhaitiez vous reconvertir dans un métier qui serait une passion après avoir rangé les crampons au vestiaire de votre carrière. Pourquoi un Diner ?

 

Je crois que ce qui m’angoissait le plus, c’était de me réveiller un jour à 70 ans avec des regrets en me disant que « Si j’avais su, j’aurais fait ! » c’était hors de question.

J’avais cette phrase de James Dean qui revenait en boucle dans ma tête :

 

« Rêve comme si tu vivais éternellement.

Vis comme si tu allais mourir aujourd’hui »

 

À cette époque, il y avait peu d’argent dans le monde du rugby, on était loin derrière d’autres sports, on travaillait donc tous à côté. Moi j’étais chez EDF et je m’ennuyais. J’ai très vite compris que la vie de bureau ne saurait pas combler toutes les envies que j’avais.

Je me suis mis à faire des listes, chose que je fais très souvent. J’ai noté, j’ai recensé tout ce que j’aimais en commençant par les années 50 et l’insouciance de cette époque, le Rock & Roll, les voitures anciennes… toute cette période révolutionnaire, ludique… le meilleur symbole qui m’est apparu pour faire le lien de tout ça, c’était le Diner.

J’ai commencé par arpenter les USA à la recherche d’inspirations. J’ai travaillé gratuitement dans quelques Diners justement, car je n’avais pas de carte verte. Je me suis imprégné de tout ce que j’ai vécu là-bas et suis rentré des idées plein les poches.

J’ai mélangé toutes ces influences pour en faire quelque chose qui me correspondait. D’ailleurs tous les Diners aux Etats-Unis ne sont pas roses et turquoises ! (rires) J’ai pensé qu’il fallait que je profite de ma notoriété de joueur au Stade pour ouvrir mon premier restaurant. Nous étions en 1993, j’avais 30 ans, je ne savais pas quand tout allait se terminer et il me fallait glisser sur une reconversion.

Le tout premier restaurant était situé en ville. J’ai travaillé sur ce projet avec acharnement et m’y suis investi totalement. Quand je ne jouais pas, j’étais là-bas. Je me suis formé seul en véritable autodidacte. Pour le nom j’ai même pas réfléchi, il porterait le nom de mon fils né en 1990. C’est comme ça que le Tommys Diner Café est né.

Très vite c’est devenu la cantine des joueurs. Les supporters qui voulaient y croiser les membres de l’équipe ou caresser un bouclier venaient là.

C’était une très bonne époque, j’en garde des tas d’excellents souvenirs.

Puis, j’ai découvert ce terrain à Labège, situé en face du cinéma Gaumont, il n’y avait quasiment rien. Nous avons déménagé l’enseigne et j’ai vendu le premier établissement quelques temps après. Un nouveau défi ! Un restaurant beaucoup plus grand, davantage de responsabilités, de personnel à gérer et tout à mettre en place. Il fallait repartir à zéro et tout recommencer.

En 1999 j’ai stoppé ma carrière. La tête avait encore envie, mais le corps ne pouvait plus la suivre. Je me suis donc consacré à 100 % à ce projet en partant du principe qu’il faut toujours dépasser ses peurs et qu’il ne sert à rien de craindre ce que nous ne pouvons pas maîtriser.

 

Dernièrement en collaboration avec Michel SARRAN, vous avez créé une recette de burger « gastronomique ». Pouvez-vous me parler de la naissance de ce projet commun ?

 

Avec Michel, c’est une longue histoire, on se connaît depuis longtemps… depuis l’époque où je jouais au Stade et qu’il venait nous soutenir, c’est un fan de rugby. Nous avons sympathisé au fil du temps.

Il y a deux ans, mon directeur des achats m’a dit qu’il pouvait avoir une viande exceptionnelle en exclusivité pendant six mois : du Bœuf de Kobe (Wagyu).

J’ai immédiatement pensé à lui pour la création d’un nouveau burger. Pour une viande d’exception, pour des produits d’exception, il fallait un Chef d’exception !

J’ai décroché mon téléphone et je l’ai appelé pour lui proposer ce projet. Il était très occupé par Top Chef notamment, mais il a accepté qu’on se rencontre pour réfléchir à cette idée.

Ce fût un franc succès ! et l’ambiance pour le concrétiser était bon enfant.

Au mois de mars dernier, l’émission Capital est venue faire un reportage, nous avons rempilé pour un deuxième partenariat. Rien n’est industriel dans ce burger : du pain, aux garnitures en passant par la sauce qui est la recette de Michel et que nous reproduisons chaque matin.

 

Qu’est-ce qui vous amène le plus de satisfaction dans votre vie aujourd’hui ?

 

Pouvoir penser que je suis libre de faire ce que j’ai envie ! Le luxe, c’est la vie d’abord.

Voir les gens heureux comme ce week-end où nous venons de fêter les 15 ans du Tommy’s représente une joie et des émotions immenses.

Je m’inspire de personnes qui ont connu des parcours de vie semé d’embûches et qui pourtant, ont réussi à les dépasser. Je pense à Nelson Mandela bien sûr, mais aussi à Martin Luther King. Je suis admiratif de ces hommes.

Je dis souvent à mon fils que dans la vie, si on est loyal et honnête, il ne peut pas nous arriver grand-chose… Rien n’est grave hormis la mort et le manque de santé

 

Que vous évoque la transmission ?

 

Ça me fait penser à mon fils. Il est, avec les gens que j’aime, ce que j’ai de plus cher au monde. Mes parents ont toujours été fiers de moi, mais de nature peu démonstrative sur le plan affectif, c’était une autre génération. De mon côté, je ne crains pas de l’être avec lui. Je voudrais pouvoir lui apprendre ce que je sais et lui éviter certaines erreurs, comme celle de tomber dans le paraître de beaucoup de jeunes de sa génération.

Je veux qu’il soit heureux, qu’il trouve le chemin qui mène à lui-même et de fait qu’il se libère de mon image qui le rattache à « être le fils de » … Il n’a besoin de rien pour que je sois fier de lui, c’est mon fils.

La transmission c’est aussi l’héritage de valeurs familiales et la fierté qu’elles véhiculent. Je crois qu’il est important de vivre ses rêves, dépasser ses peurs pour ne pas avoir de regrets. Bien sûr l’échec est un partenaire de route, mais c’est aussi un excellent professeur. Les ratages permettent les réglages. Il ne faut jamais avoir peur d’oser et d’aller chercher ce en quoi on croit :

Parce qu’être un homme,

c’est être aussi plein d’émotions et ne pas craindre de les dévoiler…

 

 

À l’heure où je termine la rédaction de cette mini-biographie, je suis surprise qu’un tel colosse puisse porter en lui tant de tendresse et de bienveillance à l’égard de ceux qui lui sont chers.

Patrick SOULA est un homme généreux, chaleureux qui fourmille d’idées et de projets, bien que gêné de parler de lui, tant les mots qu’il cherche doivent sonner juste pour qu’il accepte de les employer à son sujet. Beaucoup de charisme et de volonté habitent ce gaillard dont le regard et le sourire sont aussi malicieux que ceux d’un enfant.

J’ai apprécié ce moment baigné dans cet univers gai et coloré, me laisser embarquer dans son univers et remonter le fil de ses tranches de vie comme il les appelle … déjà deux écoulées et il sait bien qu’une troisième viendra en temps et en heure.

J’avais en face de moi un homme aux avis bien tranchés, car comme il le dit lui-même : soit il aime, soit il n’aime pas. Je suis d’autant plus flattée qu’il apprécie ce portrait.

Pour la suite, quoi lui souhaiter de plus ou de mieux si ce n’est de continuer à rêver aussi bien qu’il le fait déjà et vivre aussi libre qu’il l’a déjà décidé…

On the road again !

Un grand Merci à vous… pour ce moment de partage plein de sincérité et de spontanéité