RENCONTRE AVEC Mr Michel SARRAN

 

Le 02 mai 2017

Chef Gastronomique 2 étoiles

 

C’est dans « sa maison », son restaurant situé au cœur de notre belle ville rose, boulevard Armand Duportal que je rencontre aujourd’hui Michel SARRAN, Chef Gastronomique 2 étoiles, également membre du jury dans l’émission TOP CHEF sur M6 qu’il a remporté cette année avec son candidat Jérémie.

Beaucoup de journalistes ont déjà interviewé Monsieur SARRAN. Je souhaitais donc lui poser des questions plus personnelles, afin de découvrir l’homme qu’il est derrière son tablier.

 

LE CUISINIER AU TABLIER NOIR

 

Michel SARRAN est né le 18 avril 1961 à Saint Martin d’Armagnac dans le Gers, terre du Sud-Ouest où le terroir occupe ici, une place très importante dans la vie et la culture des gens.

Mais ne nous laissons par bercer par les apparences, car il est avant tout un homme d’aujourd’hui, bien ancré dans son époque, avant-gardiste, en perpétuelle recherche de sensations dans tous les domaines de sa vie.

 

Pouvez-vous me parler un peu de votre enfance ? Quel petit garçon étiez-vous ?

 

J’étais un petit garçon paisible, sans histoires. Je vivais dans mon petit village à la campagne, entouré de ma famille et mes copains. Le monde me paraissait si loin…

J’ai été un élève quelques fois dissipé, mais sans plus, attiré par la musique que je trouvais apaisante et plus particulièrement par le piano que j’ai commencé à apprendre tout jeune.

Ce qui me plaisait c’est le fait que l’on puisse créer des émotions. Je ne connaissais pas encore mon moyen d’expression à moi, mais de toute évidence j’allais déjà à sa rencontre.

La cuisine ne faisait pas partie de mon univers. Bien entendu comme tous les mômes, je faisais des gâteaux avec ma grand-mère. Je me souviens du plaisir que c’était de transformer des produits bruts, les associer comme l’on joue aux légos et assister à leur métamorphose sous l’effet de la chaleur dans le four, sans compter l’odeur qui embaumait la maison. C’était déjà la magie de la création.

 

Vous avez plaqué vos études de médecine pour apprendre la cuisine aux côtés de votre Maman dans son auberge du Bergerayre ?

 

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Je dirais plutôt que c’est la médecine qui m’a plaquée !

J’avais connu une adolescence plus chahutée. À cette époque-là, les plaisirs de la vie étaient encore trop importants pour moi, de toute évidence plus que mes études. Je manquais vraiment de sérieux.

Ces deux années m’ont permis de connaître et ressentir cette belle ville de Toulouse. Pour moi qui venais d’un milieu rural, c’était une réelle découverte. J’en ai profité pour passer un tas de concours : sagefemme, assistant social… j’en ai eu aucun.

J’ai été élevé dans l’idée que la vie ressemblait à un modèle déjà tracé. Il fallait réussir ses études pour avoir un bon métier, se marier, avoir des enfants et moi je n’avais encore rien de tout cela… je ne trouvais aucune logique et je refusais ce schéma préétabli à l’avance.

Je me cherchais… Ma mère a toujours été très présente dans ma vie. Elle m’a prise sous son aile pour m’assurer un bagage et là encore je ne me sentais pas vraiment en phase avec moi-même. Cette période à l’auberge n’a pas duré longtemps, un ou deux ans tout au plus. J’ai toujours aimé que les choses aillent vite, je suis un éternel curieux de tout.

Suite à ça, elle m’a trouvé une place dans un restaurant italien tenu par une femme qu’elle connaissait à Paris: La main à la pâte.

Ce fut un grand changement personnel autant que professionnel. Je dirais que cette année dans cet établissement a été un cap important parce que j’ai découvert une nouvelle cuisine et puis surtout cette nouvelle vie à la capitale. Mon ami Thierry en a profité pour me faire visiter et m’emmener à la rencontre des différents visages de cette ville vibrante.

J’ai toujours été d’une nature indépendante et j’ai vu dans cette expérience un passeport pour en vivre de nouvelles.

Comme moi aujourd’hui, votre Maman a fait preuve de beaucoup d’audace lorsqu’elle a demandé à Mr Alain DUCASSE de vous prendre en stage chez lui.

 

Mr Alain DUCASSEEffectivement, on peut même dire que c’était très culotté de sa part. Elle a profité d’un séjour sur la Côte d’Azur et d’un déjeuner dans son restaurant Le Juana pour demander à le voir à la fin du repas. Une fois qu’elle lui a expliqué ma situation, il a répondu : « Pourquoi pas ! ». Quelque temps avant ça, il avait eu une expérience similaire avec un jeune stagiaire qui n’avait pas de formation hôtelière comme moi et le résultat avait été plus que positif. Il a accepté de tenter l’aventure. J’étais très intimidé du haut de mes 20 ans et des poussières, mais voilà comment tout a vraiment commencé.

Très vite, il m’a pris sous sa tutelle puis m’a envoyé au Cap d’Antibes. J’ai découvert la Côte d’Azur et sa cuisine typiquement méditerranéenne axée sur le travail des poissons et des légumes du soleil.

Encore une fois, c’était un nouvel univers. J’ai dû bosser très dur et m’accrocher pour y arriver.

Alain DUCASSE m’a ensuite envoyé faire un stage de perfectionnement en pâtisserie chez LENÔTRE avant de me récupérer avec lui.

« C’est à ce moment-là que j’ai eu le déclic ! »

 

J’ai abandonné mon envie de m’amuser pour m’investir comme un dingue, compenser mon manque de niveau par un travail et une implication acharnés. Le monde de la cuisine est un milieu difficile au fonctionnement excessif. On doit essuyer les brimades, les engueulades, sans perdre son sang-froid, ni céder à la pression. Je n’y arrivais pas, mes connaissances étaient insuffisantes, je pleurais tous les jours, mais Alain DUCASSE m’a fait confiance et j’ai continué d’apprendre au Bylbos des Neiges à Courchevel.

« Il était là mon moyen d’expression, dans la souffrance certes,

mais je savais que je ne m’étais pas trompé de voie. »

 

Ensuite, tout est allé très vite.

Alors que j’avais 21 ou 22 ans, j’ai poursuivi mes gammes chez Michel GUERARD aux Près d’Eugénie à Eugénie-les-Bains où j’étais Chef de Partie.

De cette période magnifique, je retiens la découverte d’une cuisine avant-gardiste aux côtés d’un homme d’une intelligence rare.

J’ai beaucoup appris durant ces deux années fascinantes et tout autant difficiles. Pourtant, je ne voulais pas rester trop longtemps. Autour de moi, gravitaient des personnalités très fortes comme c’est souvent le cas dans notre milieu et je me rendais compte qu’il fallait apprendre sans se perdre, sans lisser son identité.

Puis j’ai rejoint l’équipe de Jean-Michel LORAIN à la Côte St Jacques (3 étoiles) à Joigny en Bourgogne. Je me suis retrouvé dans un univers très chaleureux et familial au sens propre du terme. Toute la famille travaillait ensemble et de fait, j’ai tissé des relations très fortes non seulement avec eux, mais aussi avec les clients. Ils m’ont appris cet aspect relationnel du métier qu’il me manquait jusqu’alors. J’ai eu la chance de les accompagner dans leurs voyages aux quatre coins du monde : de la Thaïlande en passant par l’Angleterre et les États-Unis où nous étions invités pour représenter la France, comme des ambassadeurs de sa gastronomie à l’étranger.

Tout était nouveau pour moi, j’étais impressionné par les dorures du métier, le côté fastueux, mais pour autant je n’oubliais pas d’où je venais. Je prenais à cœur mes responsabilités et ma voie se confirmait de jour en jour.

 

C’est plus tard, au Mas du Langoustier, à Porquerolles que j’obtiendrai ma première étoile en 1996.

 

J’ai lu dans un article que vous aviez dit que la création d’une nouvelle recette, c’était comme une page d’écriture, cela ne peut que me parler. Qu’entendez-vous par là ?

 

La cuisine c’est mon moyen d’expression ! Chaque année qui passe amène avec elle les saisons et les produits qui vont et reviennent et pendant ce temps, je change moi aussi. Je fais de nouvelles expériences, je vis de nouvelles émotions, je découvre de nouveaux lieux et de nouvelles personnes et c’est tout cela que je veux partager à travers ma cuisine.

Concrètement, je fais d’abord un dessin puis j’écris ma recette.

Comme vous, je ressens, je fais appel à la mémoire de mes histoires, à la mémoire de mes goûts. C’est à la fois formidable, mais incontestablement douloureux avant de commencer. J’éprouve toujours le même plaisir et toujours autant de souffrance.

La satisfaction est éphémère puisqu’une fois que nous avons fait les essais avec mon Chef, Xavier, et que l’on apporte la finalité, il faut déjà passer à autre chose. C’est angoissant parfois, car c’est une course permanente aux idées et je dois reconnaître que c’est dans les périodes les plus difficiles de ma vie, que l’inspiration me vient le mieux ou peut-être avec une logique que je ne m’explique pas.

 

Où trouvez-vous aujourd’hui votre inspiration pour créer de nouveaux plats ?

 

Dans ce que me laisse la vie comme traces.

Que ce soit sous forme de rencontres, d’odeurs, de saveurs ou d’évènements, l’inspiration peut venir de partout. Alors je me mets à mon bureau, je fais appel à ma mémoire, au récit de l’histoire que je veux raconter et je me laisse guider par mes idées.

 

D’où vient le choix pour votre tablier noir ?

 

En 2002, à l’occasion du salon SIRHA (rendez-vous mondial de la restauration et de l’hôtellerie) qui se déroule chaque année à Lyon, j’ai remarqué que mon confrère Nicolas LE BEC portrait une veste noire et j’ai trouvé ça très élégant, ça me rappelait les cuisiniers rencontrés au cours de mes différents voyages au Japon. En rentrant du salon, j’en ai commandé deux.

L’anecdote veut, qu’elles ont été livrées le jour où j’ai obtenu ma deuxième étoile au Guide Michelin. Depuis je ne l’ai plus quittée. J’aime beaucoup le noir, c’est une couleur qui me correspond.

 

Au-delà de la cuisine, vous êtes un passionné : de sports automobiles et mécaniques, de voyages, vous êtes titulaire d’un brevet d’avion. Quel est votre moteur pour être sur tous les fronts ?

 

Mon ennemi c’est le quotidien. Je crains l’ennui qui pour moi, provoque la léthargie.

J’adore me soumettre à de nouveaux challenges, me dépasser, ressentir que je suis capable de toujours faire mieux. En 2006, j’ai couru le marathon de New York, je me suis préparé pendant un an pour ça et je me suis prouvé que je pouvais le faire.

« Lorsque je me lance un défi, j’y vais à fond ! »

 

C’est comme le pilotage… c’est pour moi un plaisir immense, une sensation de liberté extrême. Lorsque je suis à bord de mon avion, je sais que ma concentration doit être maximale, que je n’ai pas le droit à l’erreur en laissant l’autorisation à mon esprit de divaguer. Je vis le moment présent intensément et ça me permet de relâcher la pression.

J’aime aussi les courses automobiles c’est vrai, je vais d’ailleurs en faire une nouvelle prochainement et je suis motard également.

« En fait, avec ou sans moteur, il faut que ça aille vite ! »

 

Parfois je sens que j’ai besoin de couper, de me reposer, mais je me fais vite chier. Pour moi, c’est soit on est à fond, soit on stagne. Ma curiosité permanente ne me laisse pas de répit. Cela me vient peut-être aussi de ma mère. Elle m’a enseigné que lorsque l’on a une envie, il faut toujours aller au bout pour la réaliser. Et puis, lorsque je vais trop loin, mes filles sont là pour me rappeler à l’ordre, elles sont à la fois mes juges les plus sévères et les plus vrais.

 

 

C’est par défi que vous vous êtes lancé dans l’aventure de TOP CHEF ?

 

J’avais participé à une émission, Cuisine Sauvage sur France 5 avec un ancien membre des forces spéciales et pendant cinq jours où nous étions dans une forêt hostile, je devais cuisiner trois ingrédients avec seulement trois ustensiles par jour. J’avais trouvé cette expérience géniale.

Puis, plus tard, j’ai passé les essais d’un casting pour une émission sur TF1, ça s’était bien passé. Nous étions ensuite trois en short-list dont deux Toulousains et les choses commençaient à traîner. J’ai téléphoné à la production en leur disant que je laissais tomber, que ça m’énervait et finalement, c’est Yannick DELPECH de l’Amphitryon qu’ils avaient décidé de retenir.

Lorsque M6 m’a contacté pour TOP CHEF c’était hors de question, je ne voulais plus en entendre parler ! … mais ils ont réussi à me convaincre.

Le casting ne s’est pas bien passé, j’ai même fait pleurer la fille qui se mettait à la place du candidat. J’étais très embêté, je voulais rentrer. Nous étions au mois de juillet et ils allaient nous donner la réponse en septembre. Il était hors de question que je mette ma vie entre parenthèses pendant deux mois pour ça !

Pour finir, c’est mon ami, Christian CONSTANT qui m’a dit que si je pouvais le faire, il fallait que je le fasse. Lorsqu’ils m’ont contacté pour me dire que c’était OK, j’étais sans voix.

Si ça me faisait plaisir, je ne sais même pas ! j’ai rappelé le numéro qui venait de me joindre parce que je pensais qu’un de mes copains me faisait une blague et ils m’ont bien confirmé que c’était pas une connerie et qu’ils allaient m’envoyer un mail pour donner toutes les infos.

Lorsque je me suis retrouvé sur le plateau, j’étais halluciné de voir toute l’équipe de production, le son, l’éclairage, le maquillage, les caméras… tout était incroyable. Mais très vite, je me suis senti en danger, j’avais peur que mon image soit déformée au montage et ne renvoie pas aux gens celui que je suis dans la vraie vie. Je craignais même de perdre une étoile à cause de ça.

Lors de la première diffusion, j’étais dans ma chambre d’hôtel à l’occasion du salon SIRHA encore, à Lyon et honnêtement j’ai été soulagé… c’était bien moi, je me reconnaissais.

Je prends toujours beaucoup de plaisir à faire cette émission. Chaque année, c’est deux mois de ma vie que je mets entre parenthèses, j’ai l’impression d’être à Hollywood.

Moi qui pensais que la télé n’allait pas changer ma vie… en fait, elle l’a complètement métamorphosée.

 

Que vous évoque la transmission ?

 

La transmission, elle est d’abord dans ma vie quotidienne et en priorité dans l’éducation que j’ai voulu donner à mes filles quand elles étaient petites.

C’est ensuite les valeurs du DRH que j’évoque souvent : Discipline / Rigueur / Humilité au travers de mon métier.

Je crois aussi qu’il ne faut jamais se prendre pour ce que l’on n’est pas, rester humble en toute circonstance et encore une fois en se souvenant d’où l’on vient.

« Rester fidèle à son histoire et ses valeurs, c’est primordial ! »

 

Je crois que l’humain est au cœur de tout, je pense que chaque individu est en capacité de déplacer des montagnes, tout repose seulement sur notre envie. Cependant, ceux qui ne désirent pas les gravir pour des raisons qui leur sont propres doivent être respectés. On n’est pas tous pareils, on n’a pas tous la même vision des choses.

L’axe que j’ai choisi pour me construire autant dans ma vie que dans mon métier c’est cette richesse de l’humain, le partage, le fait d’être bien dans ce que l’on fait, dans sa personnalité sans ressentir ni frustrations, ni jalousies autant que cela est possible.

 

Aujourd’hui, vous êtes au sommet de votre carrière, que puis-je vous souhaiter pour la suite ?

 

Ma carrière, c’est ma vie ! je ne sais pas si je suis au sommet… d’un point de vue extérieur peut-être, mais si j’admets que je suis au sommet alors il ne me reste plus qu’une chose à faire, c’est descendre… et ça, c’est pas moi !

Quand j’étais petit, ma mère était branchée médium. Un jour une femme qu’elle consultait lui a dit de moi que j’étais sur une échelle qui monte, qui monte, qui ne cesse de monter et je préfère cette image. Il n’y aura pas de sommet, car je n’ai pas envie de fin.

 

« Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles. »

Oscar Wilde

 

 

 

 

 

À l’heure où je termine la rédaction de ce portrait, je sors à peine de ma bulle.

Je mesure toute la chance que j’ai eu de pouvoir réaliser cet entretien en face à face, la chance que j’ai eu d’écouter ce grand Chef me raconter quelques pièces du puzzle de son histoire, le voir partir dans sa mémoire et revenir pour me livrer ses souvenirs, ses ressentis en toute honnêteté… car ce qui saute aux yeux en premier, c’est que c’est quelqu’un de vrai.

Michel SARRAN est un homme juste autant dans son attitude que dans ses mots qu’il recherche avec cohérence comme pour obtenir une mélodie qui lui plaît. En ce sens il est resté pianiste dans l’âme. Doté d’un esprit vif aux idées larges, éternel gourmand de connaissances, son regard porte en lui, la bonté autant que la méfiance.

J’ai vécu un moment suspendu bien trop court… j’avais encore mille questions dans ma tête pour des heures entières à noircir le blanc de mes pages.

Dans mon métier, le tout n’est pas d’écouter l’autre, le plus important c’est de l’entendre… Laisser de l’espace aux mots pour qu’ils déploient toute leur résonnance en sublimant leurs silences…

Ses mots à lui sont venus se poser au creux de mon oreille pour se nicher dans ma mémoire et demeurer en cadeau pour longtemps.

Les choses ne se passent jamais comme on les avait imaginées et c’est en cela que réside tout leur charme. Je n’attendais rien, je suis venue vivre l’instant et ce qu’il m’a transmis, je le conserve précieusement pour avancer dans ma quête et sur la route de mes rêves… avec envie, détermination et audace.

Pour tout… Merci